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5 ans ou 7 ans : la polémique sur la durée du mandat d’Abdullah Gül rebondit

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Le mandat du président Abdullah Gül se terminera-t-il en 2012 ou en 2014 ? La question n’est pas nouvelle, mais elle est reposée avec insistance en Turquie, ces derniers jours. La cause première de cet émoi est sans doute la récente polémique provoquée par l’amendement concernant la réduction des peines des truqueurs de matchs de football qui a laissé transparaître des dissensions au sein de l’AKP entre les «gülistes» et les «erdoğanistes» (cf. notre édition du 17 décembre 2011). Mais, l’affaire concerne aussi un problème de fond qui est déterminant pour l’avenir du régime politique turc

Le 17 décembre dernier, Recep Tayyip Erdoğan s’est en effet à son tour prononcé sur la durée du mandat en cours du président Gül. À son avis ce dernier doit achever le septennat qu’il a entamé. Le premier ministre a annoncé dans la foulée que cette question serait réglée, dès janvier prochain, par le projet de loi qui doit fixer les conditions de déroulement de l’élection présidentielle et qui précisera donc que les candidats potentiels au prochain scrutin doivent se déclarer en 2014. Le principal leader de l’opposition, Kemal Kılıçdaroğlu a immédiatement réagi en estimant que la durée du mandat présidentiel en cours avait été réduite à 5 ans et en demandant un retour à une élection du président par le parlement. Rappelant qu’en Turquie, le président de la République exerce avant tout une magistrature morale, le chef du parti kémaliste a raillé une élection présidentielle au suffrage universel, en déclarant :

«Que pourra donc promettre au peuple un candidat à la présidentielle ? De mieux nommer les recteurs des universités que ne le feraient les autres candidats ?»

Ce débat sur la durée du mandat et le mode d’élection du président de la République en Turquie peut paraître quelque peu surréaliste, c’est pourtant déjà une affaire ancienne qui remonte à la crise politique de 2007. Retour sur image… En avril-mai 2007, Abdullah Gül, le candidat de l’AKP à l’élection présidentielle, fait face à un tir de barrage de l’armée, de la Cour constitutionnelle et de l’ensemble des instances encore aux mains de l’establishment politico-militaire, qui entendent empêcher le parti majoritaire au parlement de conquérir la présidence de la République. Début mai 2007, la Cour constitutionnelle annule ainsi le premier tour de l’élection présidentielle sur la base d’une interprétation contestable de la Constitution. L’AKP riposte alors en proposant de donner la parole au peuple et fait adopter par le parlement une révision de la Constitution visant à faire élire le président de la République au suffrage universel. On annonce même alors que le référendum approuvant cette révision pourrait avoir lieu en même temps que les élections législatives anticipées provoquées par l’impossibilité de poursuivre les élections présidentielles entamées. Les prochaines présidentielles qui devront être organisées à l’issue des élections législatives pourront ainsi avoir lieu au suffrage universel direct. Mais le respect des procédures prévues pour la tenue d’un référendum de ratification constitutionnelle empêche finalement un tel regroupement des scrutins législatif et référendaire. Les élections législatives se tiennent ainsi en juillet 2007 et la large victoire de l’AKP permet l’élection d’Abdullah Gül au mois d’août par le nouveau parlement. Toutefois, ces péripéties n’ont pas enterré pour autant le projet de révision  constitutionnelle qui, à l’issue des délais impartis, est finalement soumis et adopté par le peuple, le 21 octobre 2007. Paradoxalement, ce référendum de ratification ne donne pas lieu à de grands débats. La révision en question n’est pourtant pas négligeable : non seulement elle prévoit l’élection du président au suffrage universel direct, mais elle réduit son mandat de 7 à 5 ans en le limitant à deux mandats consécutifs, et en

écourtant également le mandat parlementaire de 5 à 4 ans. Seul l’AKP fait un peu campagne pour le «EVET» (OUI). L’opposition kémaliste, encore sous le choc de sa récente défaite, ne juge pas nécessaire de croiser à nouveau le fer pour empêcher une adoption du paquet constitutionnel qui paraît inéluctable (cf. nos éditions des 17, 18 et 22 octobre 2007). Côté AKP, le maintien de cette réforme, lancée avant les élections législatives et présidentielles, comporte aussi une part d’ambiguïté. En effet, à l’issue de sa nouvelle victoire électorale, le parti majoritaire a mis un autre projet à l’ordre du jour : celui d’élaborer une nouvelle constitution, dite «Constitution civile» par opposition à la «Constitution militaire» actuelle, réalisée à l’issue du coup d’Etat de 1980. Comment donc songer à une autre Constitution alors même qu’on s’attache toujours à réviser l’ancienne en introduisant de surcroît une incertitude de taille ? (cf. nos éditions des 5 et 9 octobre 2007)

En effet, la révision constitutionnelle d’octobre 2007 est intervenue peu après qu’Abdullah Gül a été élu pour 7 ans. Dès lors, la réduction du mandat à 5 ans s’applique-t-elle au mandat en cours ou  bien doit-on considérer que cette disposition ne peut être rétroactive, et donc qu’elle n’entrera en vigueur qu’une fois que le septennat commencé sera achevé ? Dans le premier cas, l’élection présidentielle à venir se tiendrait en 2012, dans le second, elle ne pourrait avoir lieu avant 2014. D’un point de vue constitutionnel, aucune disposition transitoire écourtant le mandat présidentiel en cours ayant été incluse dans le projet de révision, c’est bien sûr le second cas qui paraît devoir s’appliquer. Toutefois, loin de trancher le débat immédiatement, le gouvernement va au contraire le faire durer, en laissant planer une incertitude susceptible de lui ouvrir de nouvelles opportunités politiques (cf. notre édition du 22 février 2010). Par ailleurs, en organisant des élections législatives en juin 2011, il n’hésitera pas à appliquer la réduction du mandat parlementaire à 4 ans à un parlement qui avait pourtant été élu avant le référendum du 21 octobre, donc théoriquement pour 5 ans, aucune disposition transitoire ne figurant dans le paquet constitutionnel adopté pour écourter ce mandat en cours.

Alors qu’Abdullah Gül est entré dans sa cinquième année de mandat, la question devient donc de plus en plus urgente. Le récent amendement sur les matchs de football truqués, qui a fait apparaître une possible dissension entre l’actuel premier ministre et l’actuel président dans la perspective des prochaines présidentielles, a réactivé les débats. Le parti au pouvoir donnant l’impression finalement d’opter pour une élection en 2014, non tant sur une base constitutionnelle que pour des raisons de pur intérêt politique, le CHP essaye de s’engouffrer dans la brèche et appelle non seulement à organiser la présidentielle dès 2012, mais aussi à rendre au parlement le pouvoir d’élire le chef de l’État.

Le passage au suffrage universel est en effet l’autre enjeu de ce débat, et il est de taille, car il est en fait susceptible de modifier la nature du régime politique turc actuel. Depuis la fin du système de parti unique, à l’issue de la seconde guerre mondiale, la Turquie a pratiqué de façon constante un régime parlementaire moniste, où le premier ministre détient l’essentiel des pouvoirs qui permettent de conduire la politique de la nation. Dans un tel régime, le président de la République n’a que des pouvoirs formels. Même si la Constitution de 1982 a renforcé quelque peu les pouvoirs du chef de l’Etat, notamment en matière de nomination aux emplois supérieurs de l’Etat ou en matière législative (puisqu’il dispose d’une sorte de véto suspensif et provisoire des lois), le gouvernement joue donc le rôle majeur dans la dynamique politique quotidienne.

La question qui se pose est ainsi de savoir si l’élection du président de la République au suffrage universel est susceptible de changer la donne et de transformer le régime parlementaire turc actuel en un régime semi-présidentiel à la française. Contrairement à une idée reçue en France, l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel ne sonne pas le glas du parlementarisme. Nombre de régimes parlementaires en Europe (Finlande, Portugal, Autriche…) font élire leur président par le peuple, sans pour autant verser dans le semi-présidentialisme à la française. Plus que des règles constitutionnelles, une telle évolution dépend en effet du contexte politique, et notamment de l’existence d’un parti majoritaire influent et de personnalités politiques fortes. Or, si Recep Tayyip Erdoğan devait se présenter à une élection présidentielle au suffrage universel et être élu, on peut penser que les conditions seraient réunies pour la consécration d’un semi-présidentialisme à la turque.

Autant dire que la perspective ne réjouit pas l’opposition qui pense que le parti majoritaire et son leader détiennent déjà la plupart des leviers de commande. L’expérience française, unique dans une Europe qui a généralement opté pour le parlementarisme moniste, a montré que la pratique du système semi-présidentiel contribue à une forte concentration et à une personnalisation parfois excessive du pouvoir, qui sont néanmoins compensées par des traditions démocratiques anciennes et des contre-pouvoirs importants dans la société civile. En Turquie, où ces traditions et contre-pouvoirs sont moins établis, l’hypothèse d’un passage au semi-présidentialisme inquiète l’opposition. La réactivation de ce débat sur l’élection présidentielle et ses enjeux politiques sont en outre d’autant plus ambigus qu’ils surviennent à nouveau dans un contexte où le début de l’actuelle législature est sensée donner lieu à l’élaboration d’une nouvelle constitution qui serait bien sûr susceptible d’aborder ce genre de problèmes…

JM


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